Nous avons commencé un « cycle » de lecture sur la Grèce pour nous imprégner de ce monde avant que nous n’y posions un pied pour une courte escapade, pour essayer de comprendre ce qui a longtemps été une idée, avant d’être un pays ou un territoire.
Jusqu’à présent, nous n’avions pas prévu de voyage par la crainte d’être déçu, de la foule… Et par la magie d’un déplacement professionnel à Athènes nous avons pu confronter nos fantasmes à la réalité.
Nous imaginons que pour beaucoup la Grèce a toujours été rattachée aux mythes et nous n’y dérogeons pas. Nous avons exploré d’autres horizons sur le blog et nous dressons ci-dessous une liste d’ouvrages lus avant et pendant le voyage, rien d’exhaustif bien sûr et n’hésitez pas à l’enrichir par vos propositions de fictions ou d’essais ou de n’importe quel genre! Voici donc notre sélection de livres autour de la Grèce. Vous pouvez d’ailleurs retrouver toutes nos recommandations de lecture sur le Blog
¤ Les déclarations d’amour à la Grèce ¤
Rien de tels que les ouvrages d’auteurs totalement acquis à la cause… Parce qu’on l’aime sans y être allés alors on a envie que ceux qui la connaissent un peu plus que nous confirment notre pressentiment!
« Pourquoi la Grèce »
Nous avons commencé par le très classique « Pourquoi la Grèce » de la grande papesse de la « grécitude », Jacqueline de Romilly.
Nous n’avons pas été déçus. Elle nous embarque totalement sur l’aspiration à l’universel de ces grecs qui ont disparus et dont nous portons pourtant inconsciemment les idéaux de-ci-delà. Ce goût pour l’universel, la tolérance… Elle nous balade, d’Homère à Platon -on prend très vite conscience de ce miracle grec au Vème siècle qui a vu naître la démocratie, le goût du débat, la liberté athénienne solennellement exprimée par « qui veut prendre la parole » à l’assemblée, la tragédie (« une tentative de langage européen » selon M. Yourcenar)
On comprend l’universalité d’Homère qui a élagué l’expression des sentiments pour nous en transmettre l’essentiel, pour que chaque homme puisse s’y reconnaitre, quel que soit son origine.
Elle brosse ainsi un tableau impressionnant de ces différents domaines de l’histoire à la philosophie dans lesquels nous suivons les grecs tentaient de traduire des éléments, des sentiments, des expériences concrètes en une forme d’universalité, une abstraction, et pas seulement par le langage des mythes.
Comme elle l’exprime très justement en fin d’ouvrage, il est rassurant et fascinant aussi de lire qu’il y a des siècles de cela, un peuple a cherché à suggérer l’universel et qu’ils ont eu le « pressentiment » de parcourir ce chemin.
Bref une belle entrée en matière qui se lit très facilement et avec plaisir.
Puis nous avons continué avec une autrice italienne contemporaine, Andrea Marcolongo. Nous n’en avons lu que deux mais nous ne comptons pas nous arrêter en chemin. Elle établit un lien avec la Grèce antique aussi délicat qu’intense.
« La langue géniale »
Tout d’abord « La langue géniale » est un voyage éblouissant. Mademoiselle a ressenti le même émerveillement qu’en apprenant le chinois. Cette nécessité de penser autrement parce que la conception linguistique de la réalité n’était pas celle de la langue française.
Cette déclaration d’amour au grec (ancien) est sans doute l’une des plus belles manières d’appréhender cet esprit qui souvent nous habite parfois sans que l’on y prête attention. L’ouvrage nous donne aussi furieusement envie de vivre, de penser comme un grec de cette époque.
Tout d’abord par la liberté qui se dégage des explications de l’auteur qui nous précise que les grecs vivaient au présent : « Eux qui étaient libres, se demandaient toujours comment. Nous qui sommes prisonniers, nous nous demandons toujours quand ». Le temps est secondaire comparé à la façon dont les choses adviennent. Nous plongeons dans la valeur aspectuelle de l’action.
Le thème de l’aoriste, qui a disparu, est d’une grande poésie, ce temps qui décrit une action « prise pour ce qu’elle est », « qui s’accomplit » sans considération de -de ses conséquences, parce qu’il n’y en a pas, pourquoi devrait-il toujours y en avoir? »
Mais il s’agit d’une liberté réfléchie et responsable. Avec la désinence des mots, il s’agit de réfléchir à ce que l’on veut dire mais une liberté quand même puisque celle-ci donne le sens aux mots et nous libère d’un ordre à suivre dans leur agencement.
Autre subtilité, qui a disparu « le duel », en plus du singulier et du pluriel, le « duel » exprime un couple par nature, par choix, « un nombre humain et non mathématique », et donne du sens aux relations entre les choses et les personnes. Son utilisation, très personnelle, est donc choisie par celui qui l’écrit et qui le parle.
Et l’optatif ! Là nous poussons la porte du « degré de réalité » exprimée par le locuteur. De sa projection sur ce qu’il désire, espère, il « rend compte de sa vie sans imposer sa volonté ou envahir la vie (et les mots ) des autres ». Avec cette délicatesse, on s’avoue à soi-même à haute voix ses désirs sans les faire subir aux autres car cette potentialité ne dépend que de soi.
Une autre grande leçon, celle d’assumer ses actes, d’être responsable.
Il y a un degré de nuances vertigineux mais rassurant aussi car profondément humaniste et qui ouvre de nouveaux mondes.
Évidemment on referme l’ouvrage en voulant apprendre le grec ancien pour arriver à vivre comme ce que l’on peut percevoir depuis la compréhension linguistique de leur monde, en homme libre et responsable.
« Déplacer la lune de son orbite »
En refermant ce livre, Mademoiselle a appréhendé sa première visite au Parthénon…temple démembré, vidé de nombre de ses fresques et métopes… Dans le cadre de cette collection très romanesque « ma nuit au musée » qui catapulte des écrivains dans un musée le temps d’une nuit, l’auteur a choisi de la passer dans le musée de l’Acropole où précisément il manque la moitié des marbres du Parthénon. Elle a emporté avec elle la biographie de l’auteur de ce sac, Lord Elgin, qui entamait une charmante expédition artistique et a terminé son voyage en pillage organisé.
Du coup on s’interroge… Elle va donc passer sa nuit dans un musée à moitié vide avec des statues décapitées… Et c’est là le tour de force justement de cette helléniste passionnée.
On ressent très précisément ce manque, cette absence, ce sacrilège et la dette millénaire que l’on ne pourra jamais repayer à la Grèce. Et pas seulement à cause des marbres.
Elle entrelace son histoire personnelle avec celle d’un rapt monstrueux, elle rend palpable cet outrage difficilement compréhensible en 2023. Et cela même pour ceux comme moi qui n’ont aucune connaissance en tant que spécialiste pour juger de la valeur artistique des sculptures de Phidias.
« Le faussaire se fait voleur »
Elle évolue ainsi pieds nus dans le musée pour ne pas troubler les vestiges d’une autre époque et nous rappelle aussi tout ce que nous avons dérobé à la Grèce Antique, ce que nous lui devons et prenons comme si cela nous appartenait jusqu’aux marbres du Parthénon.
Comme pour « la langue géniale », c’est une belle déclaration d’amour à la Grèce antique, ce « miroir et aimant de notre imperfection ».
C’est aussi une évocation de ce lien parfois inconscient avec cette Grèce antique, « leurs âmes sont devenues les nôtres ».
Une vraie nuit de repentance en notre nom, pour les actes commis par Lord Elgin et tous ceux qui pillent la Grèce.
Pour la petite histoire, la Grèce ne sera pas seulement vengée par Lord Byron, mais la malédiction d’Athéna s’abattra sur Lord Elgin.
¤ La mythologie/les mythes ¤
Impossible d’échapper à la mythologie grecque, nous en sommes tous consciemment ou pas imprégnés et les références sont quotidiennes.
Grâce à une lecture commune avec d’autres lecteurs, nous avons découvert une autre épopée mythologique à côté de celle de l’Illiade et l’Odyssée d’Homère : La théogonie d’Hésiode
Un texte poétique mais la forme même peut rendre la compréhension compliquée. Après il faut se remettre dans le contexte, les Muses se sont adressées à lui, donc il faut essayer de suivre leur message !
Tout s’enchaine très vite mais intensément car le texte est court (une cinquantaine de pages) et dense ! On passe de la création même du monde en passant par les guerres avec les Titans et à l’agencement progressif d’une sorte de hiérarchie mythologique. Il y a toute une galerie de personnages qui apparaissent. Beaucoup que l’on n’a pas vu sur nos bancs d’écoliers ni croisés dans nos ouvrages du lycée. Ou alors que nous avons vite oubliés…
Il faut prendre le temps de se plonger dans le rythme du texte qui est fort éloigné de notre époque et bien s’imprégner de chaque phrase. Sinon on peut vite perdre le fil et se retrouver avec Prométhée sans s’être rendu compte que l’on avait fait autant de chemin.
Une lecture un peu exigeante pour moi car il faut essayer de bien saisir la portée de nombreuses métaphores auxquelles on n’est plus autant habituées dans la fiction contemporaine. Les commentaires, que j’ai préférés lire après pour ne pas couper ma lecture, permettent de bien compléter ce qui a pu nous échapper et de préciser des passages trop obscurs lorsque l’on n’a pas un bagage suffisant.
Mais il faut l’aborder sans crainte surtout. Nous sommes heureux de cette découverte, qui nous a donné un autre éclairage sur des personnages familiers, d’autres moins, et cela sous une forme épique.
« Là où la nuit et le jour se rencontrent
L’un et l’autre, se parlent, se croisent sur le vaste seuil de bronze.
L’un descend, et l’autre s’approche de la porte : jamais tous deux ne demeurent ensemble, l’un ou l’autre, à son tour, sorti au dehors des demeures, se répand sur la terre, ou reste dans la demeure, attendant que survienne l’heure où se mettre en route,
L’un portant aux mortels la lumière aux regards innombrables,
L’autre embrassant le frère de l’âtre Mort, le Somme : c’est la nuit pernicieuse, drapée de nuées et de brumes. »
« l’Univers, les dieux et les hommes »
En parallèle la lecture de l’ouvrage de JP. Vernant, « l’Univers, les dieux et les hommes », très justement sous-titré « récits grecs des origines » permet de comprendre de façon pédagogique ce qui a été décrit de façon épique la création, l’identité des hommes, les tensions avec l’immortalité, la connaissance, etc.
Il est très accessible et permet de mieux apprécier encore la lecture de la très poétique théogonie, Il donne de nombreuses clefs de lectures et clarifie les passages que l’on a pu éluder ou mal comprendre.
Il permet aussi au-delà de la Théogonie d’approfondir notre connaissance sur la mythologie grecque et d’autres personnages comme l’ambigu Dionysos, Ulysse, et sa tension entre le vagabond et l’homme établi, la question de l’altérité, la place des hommes ou celle que l’on recherche.
« Les grecs ont-ils cru à leurs mythes ? »
Autre essai passionnant, « Les grecs ont-ils cru à leurs mythes ? » de P. Veyne. Un ouvrage qui pose la question de la vérité au final, des croyances. Il étudie l’hésitation puis la révolte des grecs contre leurs mythes certes mais aussi de manière plus globale ce qui fonde la vérité ou plutôt les vérités, la pluralité de cette notion.
Les mythes, sont des histoires lointaines et pourtant fondatrices de leur identité, un crédit global est porté à ces mythes. Il parle de vérité « altérée par la naïveté populaire », car nous sommes loin de l’âge d’or où les dieux et les hommes se fréquentaient
Il évoque également Platon qui considérait la fausseté comme étant une inexactitude.
Donc bien sûr que les grecs ont cru à leurs mythes, et il en reste quelque chose avec la réinterprétation historique, l’identité politique, bref un « fond de vérité ».
« Comment connaître l’avenir pour un grec ancien »
Enfin un dernier ouvrage assez surprenant, où l’on découvre qu’à l’époque de Platon, on pouvait aussi avoir recours aux poupées vaudous : Comment connaître l’avenir pour un grec ancien, de Danielle Jouanna
J’ai eu un souvenir foudroyant des épisodes de la pythie que l’on venait consulter en lisant l’ouvrage, mais cette dimension fantastique n’était pas nécessairement la 1ère image qui me venait à l’esprit malgré le poids de la mythologie grecque.
L’ouvrage nous plonge dans un monde alternatif mais qui est aussi un visage de la Grèce antique. Outre l’intérêt de nous dessiner les contours d’un homme enclin à interroger les dieux, par les oracles, les devins ou mêmes à les invoquer seuls, nous naviguons parmi différents textes historiques mais aussi poétiques comme des tragédies, voire des liens sont établis comme lorsque l’auteur relie le texte de Theocrite « les magiciennes » avec des papyrus grecs magiques.
L’autre aspect intéressant du livre est la mise en lumière de cette ambiguïté, qui se perpétue dans toutes nos sociétés, ce balancement entre cette croyance que l’avenir est tracé, et préfiguré ici par le rôle des Moires, et la volonté de le changer.
Mais avant de tenter de changer cet avenir, car : « tout être a un sort bien défini, nul n’est libre que Zeus » (Eschyle), se pose la question de l’accès à la connaissance de celui-ci. Et l’auteur passe en revue les très nombreux moyens mis à leur disposition : la lecture des rêves (par des oneiropolos), les visiteurs nocturnes, les révélations envoyées par les oiseaux (par un oiônopolôn), l’examen des viscères, l’aide des devins, et bien sûr les oracles avec leurs réponses énigmatiques, parfois en vers.
La panoplie des techniques pour tenter de changer son destin est tout aussi riche, et l’on oscille entre le monde de la magie bienveillante et une autre plus sombre, mais surtout on examine tous les gri-gris et objets magiques : Les papyrus grecs pour recouvrer la santé, l’amour, etc. les manuels et recettes magiques, la iynx, véritable aimant qui prive l’autre de la liberté de choix, qui prend la forme d’une roue bordée d’oiseaux, des tablettes de malédiction « defixiones » (on en a retrouvé plus de 2000 !) dénommées katadesmos et par prévention des antikatadesmos, des figures humaines et autres poupées vaudou, des amulettes pour détourner le mal (apotropaïque) ou le prévenir comme l’œil grec prophylactique, entre autres…
Un beau paradoxe, tellement humain, dans cette volonté d’infléchir un destin censé être déjà fixé, qui est conclu joliment par le mythe de Pandore…l’espérance étant le seul élément resté dans la jarre quand tous les autres maux se sont échappés…
¤ L’histoire d’une démocratie: Athènes ¤
Encore une fois la Grèce, et plus particulièrement Athènes, brille par son rôle majeur pour nous montrer le chemin des siècles plus tard avec une révolution sur 2 siècles seulement.
L’ouvrage de C. Mossé, « Histoire d’une démocratie : Athènes » sur une courte période permet de saisir le système politique mis progressivement en place à Athènes et qui a véritablement modelé l’espace civique. On découvre toutes ces techniques et pratiques politiques telles que le découpage des territoires pour casser les liens aristocratiques, l’ostracisme, les travers et errements de la démocratie comme ses plus beaux moments. Il y a un réel attachement des athéniens à ce sentiment d’appartenance à la cité comme le démontre la révolte des soldats et marins contre le régime oligarchique.
L’apolitisme pendant un temps semble impensable, une vie intellectuelle engagée, l’appartenance au corps politique semblait être l’essence même de l’athénien (même avec la limite de l’exclusion des métèques, des esclaves et des femmes alors qu’ils participaient à la vie de la cité).
Un grand moment politique palpitant où l’on saisit tous les ressorts et enjeux des choix et de la trajectoire de la cité athénienne jusqu’à la fin de la démocratie où la vie politique n’était plus qu’un simulacre.
¤ Les ouvrages pratiques ¤
Nous sommes fidèles à la collection Cartoville pour explorer des villes. Le format est pratique comme son contenu. Chaque quartier a son plan avec des adresses et des lieux à ne pas manquer. Il y a le strict nécessaire et après à vous de vous perdre ou de découvrir d’autres lieux. C’est une sorte de branche bien fournie à laquelle se raccrocher.
Et nous adorons aussi tenter d’échanger dans la langue du pays. Pour un aussi court séjour la méthode Assimil était très pratique, non pas que nous ayons pu philosopher sur place mais elle offre aussi bien des rubriques pratiques qu’une méthode pour arriver à se débrouiller à raison d’une mini-leçon par jour sur 3 semaines.
Enfin 2 autres ouvrages, l’un sur l’art grec de René Ginouvès. Un vrai bonheur à picorer sur place, notamment pour comprendre l’Acropole, les choix longuement réfléchis pour ne pas céder à une symétrie parfaite mais pour donner une « élasticité » à la structure et prendre en compte les effets de la lumière sur l’architecture ! Et aussi cette recherche de création idéale, on comprends mieux ce qui est au cœur du « canon » de la beauté grecque ». Enfin son introduction donne à réfléchir sur le cadre même de cette création artistique, ce terreau fertile, les conditions idéales pour l’explosion de tant de beauté.
Et enfin le que sais-je sur Socrate par Jean Brun est assez plaisant pour se replonger dans sa philosophie et comprendre la portée aussi de sa mise à mort.
On a marché dans les pas de ce dernier et de Platon, et tâché d’imaginer l’académie de Platon, reconstituée dans ce qui tient lieu de l’université en plein centre.
Le petit musée numérique est intéressant pour comprendre et connaitre la vie de Platon, sa philosophie avec une remise en situation dans la caverne notamment !
N’hésitez pas à rajouter vos suggestions de lectures. Pour notre part nous n’en sommes qu’au début !
¤ BONUS ¤
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Quels livres emporter pour les Açores
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