L’accident de chasse est une oeuvre graphique impressionnante au trait de bic nerveux – Oui entièrement au bic! – qui nous projette à Chicago, des années 1930 à nos jours. 

♦ L’Accident de Chasse ♦

Nous avons véritablement savouré ce récit avec une vraie intrigue et un beau cadre littéraire, au point d’avoir envie de lire « la Divine Comédie » de Dante qui est entremêlée subtilement au récit. Il y a aussi beaucoup d’humour dans une histoire sombre avec en toile de fond un fait divers sordide. Même si des éléments factuels émaillent le récit qui est enraciné dans un cadre concret et une époque, nous avons l’impression d’évoluer dans une réalité parallèle. C’est une belle réussite qui nous a très facilement embarqué.

 

♦ L’Intrigue ♦

Au départ il y la découverte par l’un des auteurs, D.L. Carlson, du passé du père, d’un ami, Matt Rizzo. Sa participation à une affaire crapuleuse le rendra aveugle. Cela le mènera à la prison de Stateville où il partagera la cellule avec l’un des instigateurs d’un crime qui a défrayé la chronique dans les années 1930. La majeure partie de l’histoire est le récit de leur rencontre mais aussi de cette descente aux enfers et de la rédemption finale. La découverte de la Divine Comédie en détention, qui émaille le récit, n’est pas anodine car sa trame rejoint sa vie, à moins que cela ne permette d’accepter plus facilement son destin ainsi scellé très jeune.

Il transmettra à son fils, Charlie Rizzo, la passion pour ce texte fondateur dans sa vie. Celui-ci est forcé de vivre avec ce père aveugle, avec lequel il entretient une relation en dent de scie principalement à cause de non-dits. Cela poussera Matt Rizzo à lui dévoiler son passé pour éviter de réitérer l’histoire.

C’est un vrai tour de force de mêler les différents récits, d’entrecouper les époques, de retranscrire en image des oeuvres littéraires diverses – car il n’y a pas seulement la Divine Comédie- et un crime qui a secoué toute l’Amérique.

Et le tout au bic, en noir et blanc, uniquement!

 

♦ L’accident de chasse – Chicago en filigrane ♦

L’accident de chasse : C’est évidemment un très bel ouvrage graphique. Le dessin est véritablement au service de l’histoire mais il est aussi important que cette dernière. Les traits hachurés noirs lui donnent une intensité.

Le coup de bic saisissant nous catapulte dans un récit basé sur une histoire vraie entremêlée de poésie, « la Divine Comédie » de Dante, et dont la présence n’est en rien gratuite. Il y a une vraie liberté de ton où se mélange les époques.

La ville n’est pas choisie par hasard, car c’est le lieu même de l’intrigue basée sur des faits réels. Mais elle se prête réellement à l’exercice. Chicago permet d’être le lieu de belles créations car c’est tout d’abord une ville très graphique et le dessinateur, Blair Landis donne la pleine mesure de son talent. Avec son style reconnaissable, il s’affranchit des cases de la bd et mêle ainsi avec brio des éléments aussi divers que Dante, la vie en détention et la relation compliquée d’un père et son fils.

Chicago est une ville intrinsèquement graphique. Elle renaît de ses cendres après le grand incendie de la fin du 19ème siècle et sera le lieu de naissance des gratte-ciels avec Burnham comme chef de file (histoire dépeinte avec brio dans le roman historique « the devil in the white city » d’Erik Larson). Mais il n’y a pas que des buildings qui la composent, s’élèvent aussi d’autres bâtiments de genre différent (Prairie School, Art deco, etc.) avec des quartiers très variés.

D’un aspect plus sombre, outre les immeubles, les ruelles et autres ponts, la prison de Stateville a un tracé très particulier en arrondi en application d’un principe de surveillance constante des détenus par Jeremy Bentham et les traits hachurés au bic lui rendent un triste hommage (Elle existe réellement).

♦ La divine comédie de Chicago ♦

La vision du monde médiéval de la divine comédie est un parallèle saisissant et bien construit avec le récit, de la descente aux enfers à la rédemption, qu’il s’agisse de l’histoire de Matt ou Charlie Rizzo. Cependant ce n’est pas un choix narratif car c’est précisément le partenaire de cellule du père qui lui fait découvrir ce texte fondateur dans sa vie et libératrice. Elle lui sauvera même la vie par curiosité de connaître le purgatoire et le paradis… Sa retranscription visuelle et l’écho dans le passé, le destin des détenus est très juste, au point que ces derniers vont s’y intéresser grandement lors d’une représentation en prison. Car la prison de Stateville offre une correspondance évidente avec l’enfer de Dante.

Cela donne aussi un éclairage plus sombre et dramatique aux destins des personnages, mais aussi un sens et le moyen de trouver une libération.

Ce ne sont pas les seuls textes qui émaillent l’œuvre puisqu’il y a des intermèdes avec Ralf Waldo Emerson, Platon, Keats, mais aussi d’auteurs moins connu tels que Alfred Edward Housman et Carl Sandburg. La poésie est présente tout au long du texte, véritable outil d’expiation et de libération des personnages, elle permet de s’affranchir des murs de prison aussi bien que des mensonges construits depuis l’enfance dans ce récit. 

Le mélange des genres est intéressant, car textes et images se nourrissent mutuellement.

 

L’accident de chasse est une oeuvre atypique très réussie. Que l’on aime ou pas les histoires de rédemption, de prison, Dante et le dessin au bic, il est difficile de rester indifférent à cette création qui permet de mélanger autant d’univers de façon saisissante. Et en plus cela se passe à Chicago! On adore cette ville! Encore plus après cette lecture qui la représente par petites touches, pas forcément sous son meilleur jour, mais qui donne de ça et là des images singulières à coups de bic.

 

Aux éditions Sonatine, dans toutes les bonnes librairies, 29 €

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